En 1789, l’Assemblée nationale grave dans la pierre un principe qui fera vaciller l’ordre établi : la liberté d’opinion, y compris religieuse, devient un droit pour tous. Mais ce droit n’est pas sans bornes. Dès l’origine, la loi prévoit des garde-fous, des lignes à ne pas franchir. La liberté avance main dans la main avec la responsabilité collective, et le texte fondateur n’élude pas cette tension.
La rencontre entre la liberté individuelle et l’exigence d’ordre public s’inscrit dans un cadre précis, fruit direct des bouleversements de la fin du XVIIIe siècle. Aujourd’hui encore, les débats sur les droits fondamentaux, les restrictions légales et la jurisprudence actualisent ce principe, le questionnent, et l’ajustent aux enjeux du temps.
Pourquoi l’article 10 occupe une place centrale dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adopté par l’Assemblée nationale en 1789, ne se contente pas d’apporter sa pierre à l’édifice : il vient secouer les fondations même du pouvoir d’alors. Pour la première fois, le texte proclame que chacun peut avoir ses propres convictions, notamment religieuses, alors que la monarchie dictait jusqu’aux croyances individuelles et n’hésitait pas à censurer. La phrase est simple, mais son écho traverse les siècles : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
La Déclaration, portée par la vague révolutionnaire, n’ambitionne pas seulement de renverser le trône : elle redéfinit l’espace public et privé, pousse la Nation à se doter d’une constitution pour protéger ses membres des dérives de l’intolérance ou de l’arbitraire. Les députés de l’époque voulaient ancrer dans le marbre la possibilité de croire, de penser, de s’exprimer sans craindre la persécution.
L’influence de l’article 10 s’est étendue bien au-delà des premiers jours de la Révolution. Son inscription dans le bloc de constitutionnalité en fait aujourd’hui une référence qui irrigue toute interprétation moderne des droits et libertés. Les grands thèmes d’actualité, liberté d’expression, laïcité, maintien de l’ordre public, continuent de trouver leur source dans ce texte rédigé en pleine tourmente politique. Ce qui fut pensé à Paris en 1789 résonne toujours dans notre droit.
Liberté d’opinion et d’expression : que garantit réellement l’article 10 ?
Avec l’article 10, l’idée de droits naturels et imprescriptibles prend corps. Il fixe que toute personne dispose du droit à la liberté d’opinion, particulièrement dans le domaine religieux. Ce droit, fondamental dans la sphère privée, peut aussi se vivre au grand jour, à condition de ne pas venir perturber l’ordre établi par la loi.
Dès la Révolution, ce principe fait date : l’État n’est plus habilité à sanctionner les convictions en tant que telles. C’est une distinction très nette avec les régimes antérieurs : ce que l’on pense, ce que l’on croit relève de la liberté individuelle totale, tant que cela ne déborde pas sur le terrain du trouble public. Politiques, philosophiques, religieuses… aucune opinion, prise isolément, ne peut suffire à justifier la répression. La loi n’intervient que si la manière d’exprimer cette opinion provoque une menace pour la paix publique.
Ce texte pose un cadre précis : la liberté d’opinion structure le débat public, autorise la pluralité, stimule la circulation des idées. Mais le législateur trace des limites : la liberté n’a rien d’absolu, elle se confronte aux besoins de la société et à la préservation de la sécurité collective. L’association politique, au sens de la Déclaration, s’efforce de protéger à la fois la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance contre l’oppression.
Plus concrètement, on peut éclairer le texte par ces grandes lignes :
- La liberté d’opinion est garantie sous réserve de ne pas troubler l’ordre public.
- Chacun est protégé contre la censure et la répression fondée sur ses convictions.
- Des restrictions légales existent si l’expression d’une opinion menace la sécurité collective ou perturbe la paix.
L’impact de l’article 10 dépasse le cadre du texte de 1789 : il définit les bornes du débat, interroge la frontière entre liberté individuelle et intérêt commun, et influence la manière dont la société façonne ses lois et ses institutions.
Les enjeux juridiques et sociétaux de l’article 10 à travers l’histoire et aujourd’hui
L’article 10 de la déclaration des droits de l’homme occupe une position singulière au sein du bloc de constitutionnalité français. Sa rédaction, héritée de 1789, continue de nourrir la jurisprudence du Conseil constitutionnel et demeure au centre de batailles juridiques importantes. Ce texte attire d’emblée le regard des législateurs et juristes, contraints d’ajuster sans cesse le curseur entre droits civils et préservation de l’ordre public.
Progressivement, le champ d’application de cet article s’est étoffé, notamment avec l’affirmation du préambule de la Constitution de 1946 puis lors de la fondation de la Cinquième République. La liberté d’opinion est ainsi devenue l’un des socles des droits fondamentaux. En 1948, la reconnaissance internationale de ce principe s’élargit, lorsque divers pays reprennent ces idées au sein de leurs propres textes fondateurs.
À l’heure actuelle, chaque fois que le législateur vote une nouvelle loi pouvant limiter les libertés, la conformité à la constitution est scrutée par les plus hautes juridictions. Les débats actuels relancent si souvent la réflexion : où placer le curseur entre liberté d’expression et nécessité de protéger la société des discours haineux ou des contenus déstabilisants ? C’est tout l’enjeu d’un équilibre mouvant, réinterrogé à chaque étape sociale et politique.
Quelques repères permettent de mieux cerner ces questions :
- La jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui éclaire l’interprétation en phase avec les évolutions de la société.
- L’influence des textes fondateurs adoptés par d’autres pays qui s’inspirent directement de cet article dans leurs propres systèmes.
- Le débat démocratique, qui s’anime autour du rapport entre droits du citoyen et valeurs collectives partagées.
Réflexions sur l’évolution des droits humains à la lumière des débats contemporains
Le socle des droits humains forgé à la fin du XVIIIe siècle reste vivant, mouvant. Les discussions parlementaires, les échanges au sein de la société mettent sans cesse en tension la stabilité des droits naturels imprescriptibles et la transformation constante du droit. À l’époque du numérique, des réseaux sociaux, le concept de droits fondamentaux hérité de 1789 se confronte à des réalités inédites.
Les progrès réalisés pour les droits de la femme, la reconnaissance des minorités ou encore les débats en bioéthique témoignent de ce renouvellement perpétuel. Certains principes issus de textes pionniers trouvent de nouveaux champs d’application et de nouveaux obstacles à dépasser. Mais la question centrale demeure : jusqu’où permettre l’expression individuelle sans compromettre la dignité ou l’équilibre commun ? Et comment donner corps au principe d’égalité sans ignorer la multiplicité des identités et des revendications qui animent la société ?
Ces réflexions sont visibles à travers de grandes lignes de désaccord ou de réinvention :
- Les penseurs comme Montesquieu et leur esprit des lois continuent de nourrir la réflexion politique.
- La définition des droits civils et politiques se réajuste en fonction des nouvelles attentes du débat public.
Redécouvrir la portée de l’article 10 aujourd’hui, c’est prendre toute la mesure de ce défi : adapter un héritage universel aux incertitudes et aux complexités de notre présent. Ce texte, loin d’avoir perdu de sa force, incite chaque époque à questionner et à repenser, inlassablement, l’équilibre fragile de la liberté et du vivre-ensemble.

